La Camargue en péril.
Le débat sur le caractère artificiel ou naturel de la Camargue est aujourd’hui dépassé. Même si, à l’origine, l’aménagement du delta fut considéré comme un défi technique et agricole visant à transformer le lieu en un territoire économiquement et socialement viable, bien loin du souci de protection de la nature, la Camargue représente aujourd’hui une richesse environnementale et culturelle exceptionnelle qu’il faut absolument protéger.
Pendant que des hommes reconfiguraient la Camargue à coup de digues, de pompes et de réseaux d’irrigation, d’autres hommes, comme Baroncelli, d’Arbaud, d’Elly et bien d’autres, inventaient une Camargue symbolique et culturelle fondée sur la tradition locale et le respect de la nature sauvage.
Façonné par des ingénieurs, des entrepreneurs et des poètes, développé par des générations de camarguais, le delta constitue un territoire unique en perpétuel mouvement. Ici, l’idée de laisser la nature reprendre tous ses droits n’a pas de sens, pas plus que n’aurait de sens l’idée de vouloir obstinément combattre tous ses effets ou, pire encore, ignorer sa fragilité et sa richesse au nom d’un mercantilisme économique inadapté et inconséquent.
Le biologiste américain Michael Zimmermann présente la nature comme « une coproduction perpétuelle, générée par les humains autant que par les éléments organiques ». Cette définition s’applique parfaitement bien à la Camargue vivante qui survivra tant que durera cette coproduction créative et équilibrée entre l’homme et la nature.
Aujourd’hui, cet équilibre est sur le point de se rompre comme la digue qui nous protège de la mer qui avance plus vite que ne montent les dunes. Trop souvent montrée comme l’exemple irréversible d’une submersion marine imminente, la Camargue n’a pas pour vocation à servir de mètre étalon universel pour étayer les prophéties, parfois simplistes, de l’apocalypse. Certes, fendre les flots au brise-lames peut paraitre comme autant de coups d’épée dans l’eau au regard de la menace. Mais entre le mythe de Moïse et l’arche de Noé il existe sans doute une voie possible pour protéger notre village, le delta et ceux qui y vivent.
En examinant avec lucidité et objectivité l’évolution de l’érosion marine depuis le milieu du 19èmè siècle jusqu’à nos jour et en évaluant tout à la fois l’efficacité mais aussi la fragilité des protections créées par les hommes, il nous semble parfaitement possible de relever le défi.
Les placards regorgent de rapports, tous aussi pertinents les uns que les autres, qui confirment scientifiquement ce que le commun des camarguais peut constater quotidiennement à l’œil nu. Le temps n’est-il pas venu de se retrousser les manches ?
Pendant ce temps, en août dernier, de l’autre côté de la digue à la mer, l’étang des Impériaux avait des allures de sol martien. Il en était de même pour le Fangassier et bien d’autres étendues humides soumises au régime sec. Les conséquences de ce déficit hydraulique sont désastreuses pour la biodiversité. Pourtant, à deux pas de là, s’écoulent paisiblement les eaux du Rhône. Comprenne qui pourra !
En juin prochain Marseille accueillera le Congrès Mondial de la Nature consacré à la biodiversité. Thème porteur s’il en est. Fondons l’espoir qu’à l’occasion de cet évènement planétaire qui rassemble 160 pays, un regard bienveillant et ambitieux soit porté sur les périls qui menacent la Camargue et sa remarquable biodiversité.
Repli stratégique … ou capitulation ?
La prestigieuse revue « NATIONAL GEOGRAPHIC » a publié, le 21 janvier 2020, un article intitulé « Menacée par la sécheresse, la Camargue risque de finir sous l’eau ». Si, comme nous l’avons démontré dans la vidéo précédente intitulée « la Camargue en péril », nous partageons le constat, en revanche, le caractère péremptoire et parfois même erroné de l’argumentation et des solutions radicales proposées dans cet article nous ont heurté.
Ainsi, sur la foi des arguments avancés par un expert de la Tour du Valat, l’article évoque, en faisant référence aux ouvrages de défense réalisés au large des Saintes Maries de la Mer, « DES DIGUES SUBMERGÉES ET INEFFICACES ». Pourtant, comme nous l’avons démontré, ces ouvrages ont permis de stopper l’érosion marine au droit du village. Sans eux, la mer aurait atteint l’entrée nord des Saintes Maries depuis la fin des années 1990. Voilà pour l’inefficacité ! S’agissant des digues submergées, nous conseillons aux experts de la Tour du Valat d’utiliser l’avion plutôt que le sous-marin pour constater que bon nombre d’entre-elles résistent encore malgré la violence et la fréquence des tempêtes.
En poursuivant la lecture de l’article, dans un paragraphe étrangement intitulé « QUESTIONS PHILOSOPHIQUES », on nous explique que face à l’inefficacité de ces infrastructures, « l’idée du renoncement et d’un recul stratégique des populations est avancée » (par qui ?). Et notre expert de préciser : « Combattre l’érosion et renforcer ces digues ont des coûts exorbitants sans être des solutions viables sur le long terme. C’est très difficile à accepter pour les populations concernées ». Et l’article de conclure le paragraphe « philosophique » en des termes quelque peu outranciers : « Le problème des déplacements de population est presque anecdotique en Camargue, région habitée par environ 115 000 personnes ». Les camarguais apprécieront !
Voilà qui augure bien mal de la future concertation que le sous-préfet d’Arles, qui par ailleurs conteste le désengagement de l’état, appelle de ses vœux pour répondre à l’inquiétude légitime de la population de la Camargue en utilisant une formule pour le moins alambiquée : « la démarche doit être ambitieuse mais pragmatique. Avec des travaux pertinents. Il n’y a aucun fatalisme dans tout cela ». Et d’ajouter : « Le Parc Naturel de Camargue doit pleinement remplir son rôle et organiser la concertation au plan local ». Sachant que l’un des acteurs les plus influents et les mieux dotés de la future concertation, à savoir la Tour du Valat, envisage sérieusement de confier à la mer le soin de réaliser les « travaux pertinents » il y a fort à craindre que « la population anecdotique » risque, à très court terme, de disparaitre définitivement du paysage camarguais.
Loin des arguties fatalistes et sans nier la redoutable complexité du sujet, nous voulons croire qu’il est toujours possible de protéger la Camargue en adaptant la stratégie de défense à la nouvelle donne climatique. Pour cela, il faudra un peu d’argent, de l’ingéniosité et beaucoup de courage.
La gestion du trait de côte par le PNRC
Face au danger que représente l’érosion marine pour la Camargue, la Charte du Parc propose la mise en œuvre d’un plan stratégique de gestion du trait de côte et du risque de submersion marine dans les termes suivants :
L’efficacité des ouvrages de protection réalisés sur l’ensemble du littoral du delta, de l’Espiguette à Port-Saint-Louis-du-Rhône, doit faire l’objet d’une évaluation des avantages au regard des coûts, pour valoriser les solutions les mieux adaptées et pour identifier les ouvrages qui auraient eu l’effet inverse à savoir une aggravation de l’érosion marine. Sur les secteurs à fort enjeu, des techniques appropriées (enrochements, rechargement en sable à partir des excédents de sédiments sous-marins de zones côtières en extension ou tout autre matériau adapté…) pourront être envisagées localement. Sur les zones où l’ampleur du risque de submersion marine conduit à renoncer au maintien des protections actuelles, des protections de second rang, en retrait des dispositifs existants, doivent être mises en œuvre. Sur le littoral du Parc, trois modes de gestion sont préconisés en fonction des enjeux et du niveau de risque : organisation de la défense ; maintien ou restauration d’un fonctionnement naturel ; repli stratégique. [… ]
Organisation de la défense.
Le seul secteur concerné par l’organisation de la défense est l’embouchure du Petit Rhône, le village des Saintes-Maries-de-la-Mer du Petit Rhône (plage du Grand Radeau) jusqu’au Pertuis de La Fourcade (plage est). Ce linéaire donne une garantie suffisante afin d’éviter le contournement du village par ses cotés est et ouest.
En effet malgré la présence du débouché du Petit Rhône à la mer situé à l’ouest immédiat de la zone urbaine du village des Saintes-Maries-de-la-Mer, celui-ci ne constitue pas une barrière naturelle suffisante pour assurer une protection contre les submersions marines lors des tempêtes de secteur sud à sud-ouest. Toutefois en fonction des analyses fines de contexte et de dynamique marine sur ce secteur particulier du littoral, des solutions de bourrelet de second rang sont à envisager.
Restauration du fonctionnement naturel.
Le maintien ou la restauration du fonctionnement naturel sera privilégié dans les zones où il y a peu d’enjeux socio-économiques et/ou en accrétion ou stable.
D’un linéaire total de 35 km, les secteurs concernés sont : du Pertuis de la Fourcade à la digue de Véran (au niveau du Phare de Beauduc) : plage Est des Saintes-Maries-de-la-Mer, plage de la Réserve Nationale, pointe de Beauduc ; La plage de Piémanson ; La flèche de la Gracieuse.
Repli stratégique.
Le repli stratégique est à privilégier dans les secteurs affectés par l’érosion (et/ou la submersion) sur lesquels des enjeux forts en général peu nombreux sont déplaçables : Littoral de la Camargue saintoise (du Rhône Vif au Grand Radeau) ; Du phare de Beauduc au phare de Faraman.
DIGUE 2020, un projet expérimental pour l’adaptation au changement (*)
Ce projet est porté par le Syndicat Mixte Interrégional d’Aménagement des Digues du Delta du Rhône et de la Mer (SYMADREM) et plusieurs laboratoires de recherche, dont l’IRSTEA et le CEREMA. Il consiste à mettre en place une plateforme de recherche scientifique, afin d’évaluer de nouveaux modes d’aménagement permettant de réduire les coûts de construction et de maintenance des digues de protection arrière-littorales, tout en limitant les impacts environnementaux liés au transport de matériaux issus de gisements éloignés.
Compte tenu des enjeux de protection des biens et des personnes, mais aussi des enjeux environnementaux et de dépense publique associés à ce projet, le Conservatoire du littoral a tout naturellement souhaité favoriser sa mise en place.
Une section de la digue à la mer traversant la propriété du Conservatoire, entre les étangs du Galabert et du Fangassier, a été sélectionnée pour cette expérimentation. Les travaux prévus durant l’hiver 2019-2020 consisteront à reconstruire une portion de digue à partir de matériaux prélevés localement et traités à la chaux. Une plateforme de recherche intégrée paysagèrement sera également mise en place.
Si elle est concluante, cette nouvelle approche dans la construction des ouvrages de protection pourrait être reconduite ailleurs sur la digue à la mer.
(*) Source Parc Naturel Régional de Camargue
L’érosion marine aux Saintes Maries : une vieille histoire !
Déjà, au tout début du siècle dernier, la presse faisait état de la situation critique du village des Saintes Maries de la Mer au regard des violentes tempêtes et de l’avancée « inexorable » de la mer.