Mireille, poème le plus connu de Frédéric Mistral, est un hymne à l’amour, enchâssé dans une immense fresque de la Provence rurale rhodanienne. C’est le drame de la mésalliance archaïque, la dénonciation de l’injustice sociale portée par une voix aux accents universels, encore imprégnée des utopies révolutionnaires. La jeune fille paiera de sa vie la transgression suprême du monde paysan, la négation de la propriété du sol. Elle tombera frappée par le soleil pour avoir placé l’amour humain au-dessus du rang social et de la fortune.
La Mireille de Mistral, chercheuse, elle aussi d’absolu, ne peut consentir à aimer un autre jeune homme que Vincent, le vannier, parce que son père, le riche Ramon, refuse, inflexible, ce gendre sans fortune, Mireille, désemparée, s’en va prier les Saintes aux Saintes-Maries-de-la-Mer. Elle mourra, au pied de l’église forteresse, après avoir été frappée d’insolation pendant sa traversée de la vaste plaine de la Crau. Mort toute symbolique pour cette jeune fille pure, au rêve brisé.
C’est pour évoquer le souvenir immortel de son héroïne que Mistral décida d’offrir la statue de Mireille à la commune des Saintes Maries de la Mer.
Si l’on en croit un article paru dans le quotidien EXCELSIOR du 1er octobre 1920, Le projet d’offrir une statue de Mireille à la commune des Saintes Maries a été inspirée à Frédéric Mistral par la lecture du livre « CHRÉTIENNE » de Juliette Adam.
La statue de Mireille a été réalisée par Marius Jean Antonin Mercié. Né à Toulouse, Antonin Mercié a étudié à l’École des Beaux-Arts de Paris où il fut l’élève de François Jouffroy et d’Alexandre Falguière. En 1868, il remporta le premier grand Prix de Rome avec “Thésée vainqueur du Minotaure”. Ses nombreux bustes, statues et médaillons vaudront à Antonin Mercié une médaille d’Honneur à l’Exposition universelle de 1878 et le Grand Prix à celle de 1889.
Pour cette œuvre, l’artiste retient une image pathétique et douloureuse : Mireille titubante, frappée d’insolation dans le désert caillouteux de la Crau, marchant vers l’église des Saintes-Maries-de-la-mer.
Frédéric Mistral, enchanté par l’œuvre écrit à l’artiste: “Merci au grand statuaire Mercié pour le chef-d’œuvre que lui doivent la France, la Provence et Mistral : Mireille ! L’héroïne du poème est bien l’apparition de l’idéal du poète, dans la beauté classique, la réalité de vie, sa pureté d’amour. Je baise la main du délicieux artiste !”
Frédéric Mistral souhaite faire ériger la statue sur le parvis de l’église des Saintes-Maries de la mer. Mais finalement, cet emplacement ne sera pas retenu et il est convenu que la statue sera installée sur une petite place, tournée vers la basilique.
Mercié exécute le bronze destiné aux Saintes-Maries-de-la-mer. Mistral en règle la fonte et le socle. L’inauguration est prévue pour l’été 1914. Mais le décès du poète, le 25 mars 1914, puis la déclaration de guerre quatre mois après, annulèrent l’événement.
Marius Jean Antonin Mercié décède le 14 décembre 1916, mais fidèle à la mémoire de son époux, Madame Mistral tient à exaucer le souhait de son époux.
L’inauguration de la statue de Mireille.
Finalement, l’inauguration de la statue aux Saintes-Maries-de-la-Mer se fit le 26 septembre 1920, en lieu et place choisis par le poète et où l’on peut encore la voir aujourd’hui. Assistaient à la manifestation, Madame Mistral, Frédéric Mistral neveu, Folco de Baroncelli-Javon, Emile Ripert et bon nombre de majoraux et félibres, entourés d’une foule respectueuse et attentive. La cérémonie fut accompagnée d’un défilé de cavaliers de la Nacioun Gardiano avec, en croupe, les santenco.
Dans son numéro daté du samedi 9 octobre 1920, le journal « LE MONDE ILLUSTRÉ » publie, sous la plume de Louis Brauquier, un très bel article qui relate la journée consacrée à cette inauguration.
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De cette œuvre, grandeur nature, l’artiste a réalisé une réduction de 70 cm de haut pour en tirer de multiples exemplaires. La finition et la patine sont réalisées avec la plus grande minutie, sous l’œil impitoyable du maître sculpteur.
Aujourd’hui, ces statuettes sont toujours très recherchées.
Frédéric Mistral pose à côté de Mireille. à droite la statuette de 70 cm crée par Antonin Mercié
À l’époque, la statuette était proposée pour la somme de 120 francs avec la possibilité d’y ajouter un socle en marbre vert ou rouge pour un supplément de 15 francs.
Le sauvetage de la statue de Mireille *
L’histoire foisonne de Grands hommes; d’autres plus discrets la traversent, ne laissant trace de leur héroïsme que dans la mémoire incertaine de quelques contemporains. Julien DURAND est de ceux-là. Qui de nous sait ce que cet homme a fait pour notre terre? Qui en Provence ou en Camargue se souvient encore de lui? Pourtant, durant la deuxième guerre mondiale, Julien Durand a tout simplement sauvé la statue d’Antonin Mercié.
La famille Durand, établie à Nîmes, vénérait la Camargue et se rendait régulièrement au pèlerinage des Saintes-Maries, emmenant avec elle le jeune Julien, qui grandit dans le respect des traditions et de la culture provençale. Durant la deuxième guerre mondiale, Julien, qui exerçait alors le métier de ferrailleur, dut, sous la contrainte, transporter à la fonderie les métaux réquisitionnés par l’armée ennemie. En 1943, il fut envoyé aux Saintes-Maries où il découvrit avec effroi que la pièce qui allait être fondue n’était autre que la statue de Mireille! La statue déboulonnée fut chargée dans un camion et conduite sous bonne escorte à l’entrepôt de Nîmes pour y être pesée et dès le lendemain matin fondue.
Mais Julien Durand ne pouvait se résoudre à laisser faire une telle ignominie. Mireille, “la fillette” comme l’appelait Mistral, si douce, si pure, transformée en pièce d’armement, il ne pouvait le supporter! Sa décision fut prise : il la sauverait envers et contre tous. Il la cacha, et pendant toute la nuit il récupéra du cuivre afin d’atteindre le poids de la statue. Au matin, tremblant que le subterfuge ne soit découvert, il conduisit sa cargaison à la décharge. Le poids correspondait aux métaux qui avaient été pesés la veille, personne ne vérifia ce qui était déversé dans le brasier, et le vieux cuivre fut fondu à la place de Mireille.
Après la guerre, la population des Saintes-Maries se désolait de la perte irréparable de la statue. Quel ne fut pas son étonnement de voir arriver un jour Monsieur Durand qui ramenait Mireille! Grâce au courage d’un homme et à sa détermination, sur la place du même nom se dresse désormais toujours encore la “Mireille”, hommage vibrant à la poésie de Frédéric Mistral et à la Provence toute entière.
(*) D’après un article de P. Aubanel.
Bibliographie : Conservatoire documentaire et culturel Frédéric Mistral
Bibliothèque Nationale de France